HISTOIRE

« LE JOUR DES MORTS AU MEXIQUE »

Raúl Velasco

QUELQUES PRÉCISIONS CONCERNANT LA CÉLÉBRATION DE LA MORT DANS LA CULTURE POPULAIRE MEXICAINE, ET EN PARTICULIER SA RELATION AVEC L’ESTAMPE ET LA REPRÉSENTATION GRAPHIQUE DE LA MORT.

RAÚL VELASCO, 2006

Introduction

1. Le Mexique en tant que nation, résultat de drames
2. La vision préhispanique de la mort

– Six célébrations consacrées aux morts
– Dualité inséparable
3. Croyances qui perdurent
– L’offrande
– Trois jours pour célébrer les morts
– À l’épreuve des migrations
4. Le métissage culturel
5. José Guadalupe Posada
– Posada est redécouvert
– La mort comme exutoire
6. Calaveras à Paris


Introduction

Tout d’abord il convient de préciser qu’au Mexique on ne dit pas la Fête des Morts mais le Jour des Morts. C’est n’est pas la notion de fête qui préside cette tradition populaire, mais l’idée d’un temps consacré à nos morts les plus proches, dans un esprit de familiarité cérémonieuse, dans lequel le profane et le religieux, la gaîté et la tristesse se mélangent pour être au service de souvenirs de nos chers disparus et à la conscience accrue de notre irrémédiable finitude.

Tout le monde s’accorde à dire que les Mexicains ont une relation particulière avec l’idée de la mort. Des écrivains tels que D.H. Laurence, Malcolm Lowry, Octavio Paz, André Breton, Antonin Artaud, et j’en oublie, ont contribué à faire connaître cet aspect de la culture mexicaine, de même que le cinéma, avec des réalisateurs tels que Serge Eisenstein ou John Huston.

Le Mexique lui-même, par le biais de son image de marque destiné au tourisme – une des principales sources de devises pour le pays – et par le commerce de son artisanat dans ses variantes les plus stéréotypées, a fait du Jour des Morts un des lieux communs de l’identité mexicaine dans l’imaginaire internationale.

Tout en assumant ces lieux communs et en tant que artiste mexicain travaillant à Paris, pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour faire un peu mieux savoir ce qu’est, dans mon pays, le Jour des Morts ?


1. Le Mexique, en tant que nation, est le résultat d’un des drames les plus épouvantables de l’histoire de l’humanité.

Le Mexique est une société métisse qui naît sur le génocide de la population autochtone, sur la destruction impitoyable de toutes ses formes premières de civilisation et sur un regard de mépris sur cette population.

Ce regard se perpétue de nos jours au sein même du Mexique : la révolte zapatiste de Chiapas est là pour nous le rappeler.

La naissance du Mexique moderne s’est accomplie sous le signe de la violence.

Théodore de Bry, gravure sur cuivre, 1594, Paris BnF

2. La vision préhispanique de la mort

Pour les habitants du Mexique avant l’arrivée des Espagnols, la mort était la matière même de l’univers dans lequel la vie n’était qu’un bref passage. Le sang et la mort des sacrifices, qui horrifièrent les conquistadors, étaient dans la vision cosmique des Indiens, la matière essentielle pour que l’univers continue à exister. Ainsi, chaque jour, dans l’univers indien, le sang était versé ; il coulait, non pour la possession des biens de la terre, ou pour assouvir les appétits de quelques rois pervers, mais pour le plaisir mystérieux des dieux qui avaient créé le monde et qui l’avait maintenu en vie. Le sang des hommes coulait pour que ne cesse pas l’équilibre du cosmos, pour que revienne chaque jour le soleil, pour que soient donnés le feu, l’eau, le maïs. Le sang coulait des blessures rituelles, sans cesse, de génération en génération, afin de préserver les vivants des maléfices, et que fut accompli l’incompréhensible destin : « Nous ne savons pas ce que dieu a déterminé, disait l’orateur, lorsqu’un nouveau roi était élu. Mais nous attendons sa sentence » (Le Rêve mexicain, ou la pensée interrompue, J.M.G. Le Clesio, Gallimard 1988).

Cette vision de la mort comme nourriture cosmique a donné lieu à des rites funéraires qui n’étaient pas le point final de l’existence, mais le commencement d’une vie nouvelle. Avec l’effondrement du monde aztèque, la vision magique de la souffrance et de la mort a été remplacée par la vision brutale de la mort donné par le conquistador,  dans sa quête effrénée de richesse et de pouvoir.

À cause de sa cruauté rituelle et de sa vision magique, qui ne séparait pas l’homme de l’univers, ce peuple indien raffiné et civilisé, en avance par rapport à l’Europe, aussi bien dans l’astronomie ou dans la médecine que dans les systèmes d’irrigation et d’urbanisme, sera relégué à la condition de barbares et chassé de sa propre terre. Sa vision de la mort, comme offrande aux dieux dans la perpétuation de l’univers et comme début de chemin à la rencontre des ancêtres, est remplacée brutalement par la vision catholique.

– Six fêtes consacrées à la mort

Dans le calendrier préhispanique des Nahuas, il y avait au moins six fêtes consacrées aux morts, dont deux étaient les plus importantes. Du 12 au 31 juillet, les fêtes se consacraient aux enfants défunts et les trois semaines suivantes étaient destinées aux offrandes magnifiques dressées pour les adultes.

L’au-delà pour les Aztèques n’impliquait d’aucune manière une relation de châtiment ou de récompense pour le comportement pendant la vie. Le destin de l’esprit du défunt dépendait de son rang et de la cause de sa mort. Dans la cosmogonie indienne, il y avait trois niveaux de la mort, selon l’explication de Bernardino de Sahagun : la maison du soleil (la reine des cieux), Tlalocan ou paradis terrestre et Mictlan (le royaume des ténèbres ou inframonde).

Le guerrier mort au combat, le captif sacrifié et la femme morte en couches allaitent à la mort accompagnés du soleil. Après quatre ans dans la maison du soleil, leur âme revenait sur terre sous la forme d’un oiseau au riche plumage.

Ceux dont la mort était due aux éclairs, les noyés, les malades de lèpre, de goutte, de gale ou d’hydropisie, partaient pour le Tlalocan, lieu d’abondance éternelle, leur âme reposant pour toujours dans la grotte de l’eau, royaume de la verdure de l’été.

L’esprit des morts victimes d’autres maladies ou d’autres formes de mort violentes ou accidentelles aboutissaient après 80 jours d’un long voyage au royaume de Chiconaumitlan (les neuf enfers) qui était sa destinée finale.

Tête vie et mort (Soyaltepec, Oaxaca) terre cuite, zapotèque 700-1200

– Dualité inséparable

Dans tous les cas, la mort était le commencement d’un long voyage pour l’esprit du défunt. Après l’incinération du cadavre, les cendres étaient ensevelies auprès de ses objets de la vie quotidienne, avec ses outils, mais aussi avec toute une série d’amulettes et de vivres nécessaires pour franchir les obstacles de ce long voyage, après quoi il allait connaître l’extase de la vie de l’au-delà, car, tel qu’il était dit par les sages, « lorsque les hommes mouraient, ils ne disparaissaient pas, mais ils commençaient une vie nouvelle, comme s’ils s’éveillaient d’un songe, et il se transformaient en Esprits ou en Dieux » (ibid.)

Voilà en quelques lignes et de manière très succincte, la vision de la mort chez les premiers Mexicains : pensée magique et communion avec le cosmos font de la vie et de la mort une dualité inséparable.


3. Croyances anciennes qui perdurent en milieu rural

Depuis la conquête, tout a été fait pour faire disparaître cette notion cyclique de l’univers, mais un fond de croyance ancienne est toujours présent dans ce qui reste de la population indienne, surtout dans les lieux les plus reculés du Mexique.

Avec la domination espagnole, s’est imposé au Mexique la fête de la Toussaint comme la date consacrée aux défunts. Dans la tradition chrétienne, cette date avait été fixée par le Pape Grégoire IV au 9e siècle.

Malgré les ravages du tourisme et de la volonté de l’Etat mexicain de le satisfaire au détriment des sites et des coutumes, la tradition d’honorer les morts persiste au Mexique. Ceci est particulièrement remarquable dans la tradition des offrandes dressées à la maison, dans les rites d’hommage pratiqués au cimetière et dans l’artisanat produit pour cette occasion.

– L’offrande

Depuis la période pré-hispanique et jusqu’à nos jours, la nourriture a une importance capitale dans les offrandes aux morts. A la Toussaint, les familles font un effort culinaire particulier pour offrir aux esprits revenant les mets qu’ils aimaient de leur vivant. Encore de nos jours, il y a des réminiscences symboliques liées aux éléments essentiels venant de la période pré-hispanique. D’abord l’eau, considérée comme la source de la vie, est offerte aux esprits pour se rassasier après le long chemin de leur visite et pour leur retour à l’au-delà. Ensuite, les tiges de cane à sucre sur lesquelles on place le pain ; elles sont apparemment des réminiscences du Zompantli, l’autel de crânes enfilés dans des longues tiges à la période pré-hispanique. Puis il y a le pain, un des aliments les plus importants de l’offrande.

Molé poblano, plat de fête

Si bien le pain n’est pas d’origine mexicaine, puisque la culture du blé et la création des boulangeries en Amérique ont leurs origines pendant les colonies, il est certain qu’au Mexique il y a un pain national, de part sa forme et sa fonction. A la Toussaint, le pain des morts a une forme qui rappelle un crâne humain avec des tibias croisés, faites de la même farine et décoré avec du sucre coloré en rouge. A l’époque précolombienne, les offrandes étaient saupoudrées avec une poudre rouge appelée ‘cinabrio’ dont la fonction était de représenter le sang, sang nécessaire à l’esprit du mort dans son voyage à l’au-delà. Ensuite il faut mentionner la courge.

Aussi bien dans la cuisine pré-hispanique que dans la cuisine du Mexique actuel, la courge occupe une place importante, puisque, avec le maïs, les haricots et le piment, elle constitue la tétralogie alimentaire du pays. En plus, de la courge on peut tout utiliser : les branches, les fleures, le fruit lui-même et ses pépins. La courge dans l’offrande sert essentiellement pour offrir des mets sucrés aux esprits revenants.

Dans l’offrande il y a aussi le plat mexicain par excellence, c’est-à-dire le mole qui est un plat de fête particulièrement complexe à élaborer par le nombre élevé de ses composants et l’utilisation du cacao comme matière première. Il y a aussi les tamales et le chocolat à l’eau, particulièrement destinés aux offrandes dédiés aux enfants.

En général, l’offrande est divisée en deux niveaux, une table qui représente le ciel et un niveau bas qui représente la terre. C’est sur la table que l’on dispose le souvenir des morts, ainsi que tous les éléments artisanaux de décoration, et c’est en dessous que l’on place le copal à brûler, les grains et les fruits.

– Trois jours pour célébrer les morts

Le 31 octobre à midi, l’offrande est destinée aux enfants défunts avec profusion de fleurs blanches, de verres d’eau et une assiette avec du sel. Chaque enfant décédé est représenté par un cierge allumé et on doit faire brûler le copal et l’encense. Le soir, on doit offrir un goûter aux enfants avec du pain, du maïs bouilli, du chocolat et du pain du maïs (tamales). A nouveau on doit brûler du copal et l’encense. Le lendemain, le 1er novembre au matin, on doit servir le petit déjeuner pour les enfants, avant que leurs âmes ne retournent à l’endroit où ils appartiennent. A midi, l’offrande est décorée avec des fleurs jaunes pour indiquer l’arrivée des défunts adultes. On place les chandeliers avec des grands cierges noirs et les victuailles destinées aux défunts. Et le 2 novembre, à midi, les âmes doivent retourner à l’au-delà, après un repas en leur honneur.

– À l’épreuve des migrations

Il est possible de dire que plus de cinq siècles après la conquête et malgré le racisme et le mépris envers les populations indiennes, il existe encore au Mexique, dans ce qui reste des communautés autochtones, un fonds de pensée magique et de culte des ancêtres chargées de réminiscences précolombiennes plaquées à la foi catholique. Mais la conquête continue et, aujourd’hui, c’est la migration massive vers les États Unis des jeunes sans travail dans la population rurale qui pousse à l’abandon et à l’oubli les coutumes jusque là transmises par les aînés.


4. Métissage culturel

Triomphe de la Mort, Cusone en Italie, peinture de Giacomo Bartone de Buschis, 1485

La représentation de la mort sous la forme d’un squelette nous a été léguée par les traditions moyenâgeuses importées de l’Espagne. Ses antécédents sont les ‘imagines mortis’, prototype imaginaire de l’hantise de la mort de l’individu, mais aussi les danses macabres et les visions collectives de la mort comme punition et jugement dernier.

Le Mexique métisse post-colonial s’est emparé de tout l’imaginaire religieux légué par les Espagnols dans leur propos évangélisateur auprès des Indiens, ces derniers toujours perçus comme étant enclins à l’idolâtrie.

Mais avec le surgissement d’une nation indépendante en 1810, et surtout avec l’apparition des centres urbains et d’une identité nationale, l’imaginaire collective s’est emparée des représentations de la mort. Ainsi, pendant qu’en Europe disparaissait toutes les formes d’expression collective ou d’art populaire permettant de faire face à la mort – en particulier la xylogravure – au Mexique métissé du 19e siècle, cette forme d’expression prend de la force. C’est un Mexique profondément marquée par l’Eglise catholique, mais aussi un pays nouveau motivé par une quête d’expression de son propre caractère et des particularités de son mélange culturel.


5. José Guadalupe Posada

De cette manière, il y a eu au début du 20e siècle au Mexique des artistes graveurs, dessinateurs et peintres qui continuent à se servir de la représentation du squelette pour interpeller les classes populaires. Cependant, il y a un artiste qui élève ces images au sommet d’un art à part entière. Son nom est José Guadalupe Posada. Il est né en 1852 à la ville d’Aguascalientes, d’un père boulanger et dans une famille de huit frères. Pendant sa jeunesse, il se forme au dessin et s’initie à la lithographie. A partir de 1873, il commence à produire des gravures sur bois et sur métal comme moyen d’illustration pour des publications populaires.

Posada est un artiste qui met sa maîtrise technique au service des évènements de sa société en province : les turbulences de la vie politique, les faits divers, la vie quotidienne de ses concitoyens dans la rue. Vu dans la perspective historique et par rapport aux évènements de son temps, le travail de Posada est de portée universelle et d’une grande modernité. A ce propos, nous pouvons reproduire l’analyse de Jean-Jacques l’Evêque (Les Maîtres du dessin satirique, Posada, Viva la Muerte, préface de Jean-Jacques l’Evêque, éd. Pierre Horay, Paris 1979) :

« Né en 1852, Posada a onze ans quand la France intervient (en 1873) et installe au Mexique Maximilien d’Autriche sur le trône d’un Empire qui s’effondre dès 1864. Maximilien sera fusillé en 1867. L’évènement aura une immense répercussion et frappera tous les esprits.

« A la vision théâtrale de Manet (tableau intitulé ‘L’Exécution de Maximilien’ 1868), répondent les images multiples qu’en donnera Posada, enlevées comme des flashes photographiques, emprunts de naïveté, et dont la reprise suggère une séquence cinématographique. Tant il est vrai que c’est du septième art qui procède aussi sa vision. On peut alors parler d’une vision ‘cinétique’. Ces figures déclenchées évoquent irrésistiblement les premiers burlesques américains, jouant sur les mêmes ressorts humoristiques. Car la modernité de Posada, qui use, paradoxalement, d’une technique traditionnelle (la zincographie étant une suite logique de la xylographie, la simple adaptation à une matière nouvelle de la gravure sur bois) tient de ce sens du rythme, cette exagération de gestes qui semblent devoir être vus rapidement pour créer une sorte de simultanéité.

« Nul doute qu’il aurait été un prodigieux créateur de dessins animés. La couleur locale, c’est encore ce catholicisme versant dans un rite hystérique dont est profondément imprégné Posada. Antenne de l’Eglise d’Espagne, qui fait alterner le mysticisme le plus absolu et la grivoiserie la plus provocante (aujourd’hui ne voit on pas des squelettes en porte clé ?), le Mexique abuse pareillement des pires poncifs de l’imagerie cléricales : ou réalisme, puérilité, luxuriance, suavité, morbidité, composent une étrange et assez fascinante iconographie d’or et de sang, de feu et de frénésie. Posada en use et s’en moque, tel le Buñuel de « L’Age d’Or ». Il fait cliqueter les os des prêtres dans une effervescence de carnaval, un climat de débauche, la désacralisation des représentations d’un pouvoir oppressant, passant par cet irrespect agressif.

« L’humour y est porté au noir du refus total. Et c’est sans doute la leçon de cette œuvre qui, en dépit de la multiplicité de ses facettes, conserve cet espèce de tension inouïe qui la sauve du journalisme à laquelle elle s’était astreinte, la haussant au niveau des grandes réussites esthétiques ».

En tant qu’artiste mexicain pratiquant la gravure, je tiens à faire remarquer que l’univers délirant de Posada, particulièrement dans ses gravures illustrant la mort – appelés au Mexique calaveras – donne un exemple archétypique du mélange culturel au Mexique. Tout le monde connaît l’image emblématique de la mort mexicaine créée par Posada et reproduite par Diego Rivera dans ses fresques. Et bien, cette image qu’au Mexique s’appelle ‘La Catrina’ – avec son couple, el Catrin – trouve son origine dans la fête française des Catherinettes ramenée au Mexique au temps de Maximilien et de sa cohabitation avec la bourgeoisie locale. La jeune fille célibataire en quête de mari, est remplacée par Posada par une tête de mort affublée du même chapeau fleuri et extravagant. Ainsi, Catherine au Mexique cesse d’être un prénom, pour donner lieu à un adjectif ‘catrina’, synonyme péjoratif de vanité pitoyable : c’est la ‘vanitas’ mexicaine par excellence.

L’œuvre de Posada est pléthorique et malgré la prolifération de ses vignettes (plus de 20,000) et de sa collaboration de près de 20 ans à des journaux populaires de la Ville de Mexico, il meurt dans la pauvreté en 1913, pour tomber dans l’oubli et, en 1920, ses restes sont jetées dans une fosse commune.

J.G.Posada devant son atelier, Ville de Mexico 1900

Calaveras gravées, Musée José Guadalupe Posada, Aquascalientes, Mexique

– Posada est redécouvert par Jean Charlot

La pratique des calaveras, c’est-à-dire vignettes gravées de squelettes, publiés à la Toussaint et destinées à se moquer des vivants – surtout s’ils sont puissants – est rentré de plein pied dans l’art populaire mexicain et l’école de Posada continue d’exister jusqu’à nos jours. C’est en 1922 qu’un artiste français, installé au Mexique, redécouvre Posada et le fait connaître dans toute sa portée d’artiste universelle.

C’est en 1922 qu’un artiste français, installé au Mexique, redécouvre Posada et le fait connaître dans toute sa portée d’artiste universelle.

Jean Charlot (Paris 1888 – Hawaii 1979) fut un créateur d’une grande importance dans le muralisme mexicain avec Diego Rivera, José Clemente Orozco, David Alfaro Siqueiros, et Rufino Tamayo. C’est Jean Charlot qui, collaborant avec Diego Rivera, apporte son savoir dans le domaine de la fresque dans l’essor de la peinture murale dans le Mexique nationaliste et post-révolutionnaire.

– La mort comme exutoire

L’ensemble des éléments précolombiens qui, malgré la brutalité de la conquête, existent encore, et l’imposition de la vision judéo-chrétienne par un de ses versants les plus sombres – le catholicisme espagnol – ont fait que l’histoire de ce pays soit marquée à jamais par un imaginaire dans lequel la mort sert d’exutoire face à la fragilité de la vie, aussi bien celle de ses habitants que celle du pays lui-même.

Nombreux sont les exemples que l’on pourrait citer pour illustrer la mort dans sa fonction d’exutoire, aussi bien dans le domaine de la littérature que dans le cinéma, les chansons populaires et surtout dans les faits divers reportés par la presse mexicaine. Tout cela constitue un lieu commun dans la perception du Mexique à l’étranger. Cependant nous avons choisi, pour illustrer cette idée, une photo remarquée par Cartier Bresson, car elle montre, par sa terrifiante simplicité, l’attitude des Mexicains devant la mort.

Fortuno Sorano, compagnon d’Emilio Zapata et Pancho Villa pendant la révolution mexicaine, devant le peloton d’exécution, 1911, photographie anonyme

6. Calaveras à Paris

Comme nous l’avons vu, la prolifération de squelettes dans l’art populaire mexicain est un fardeau hilarant qui nous est arrivé de la vieille Europe. Tout le monde meurt au Mexique. Et même avant sa véritable mort, on annonce, avec tambours et trompettes la disparition inévitable des humbles et des puissants. Mais lorsqu’on contemple la France de nos jours, on dirait que personne ne meurt. Partout c’est la beauté, c’est la jeunesse, c’est les fesses luisantes et les seins qui rebondissent, partout où l’œil se pose. L’art populaire, quelle expression méprisable !

Et si l’on parle de mort, c’est pour nous annoncer une catastrophe caniculaire que l’on aurait pu éviter ou bien le décès par paquet de chair humaine sous les bombes qui tombent dans un pays lointain et inconnu (et forcément terroriste…).

Voilà ce qui nous motive, nous artistes graveurs. Nous nous réclamons en partie héritiers de Posada et nous avons la délirante ambition de faire revenir la mort parmi vous ! La tâche est énorme et nos moyens sont très modestes. Cependant, la recette des calaveras est très simple. Nous l’avons expliqué dans ses origines mais nous voulons insister à vous la dire pour la faire fonctionner dans son efficace simplicité.

Recette de la calavera

1. Vous choisissez un personnage à faire mourir, en sachant que votre choix peut être déterminé par la haine ou par l’amour, vu que de toute manière nous allons tous mourir…

2. Après avoir fait votre choix, vous devez distinguer dans le personnage ciblé, un trait de caractère, de personnalité, de comportement, de geste qui le distingue à vos yeux et qui sera irrémédiablement la cause de sa mort.

3. Ensuite, vous le représentez sous la forme d’un squelette, soit tout seul ou en société dans l’attitude ou dans le comportement que vous avez choisi pour le tuer.



4. Cette vignette doit s’accompagner d’un poème très bien rythmé dans lequel le trait doit être grossi pour venir renforcer le propos outrancier de votre vignette. Quoi de plus outrancier que la mort ?

N.B. Il est très important de chasser de votre démarche toute morbidité et apitoiement. La pourriture de la chair est bannie. La seule chose qui vaille dans notre recette, c’est les os.

Calaveras aux Cascades

Raúl Velasco, artiste plasticien et graveur mexicain s’est associé à Kristin Meller, artiste graveur franco-britannique, dans la tâche de ramener las calaveras à Paris ; et même, plus modestement, à la rue des Cascades, Paris 20e, notre lieu de travail et le siège de l’Association pour l’Estampe et l’Art Populaire.

En 2001, à la Toussaint, nous avons réalisé notre première exposition sur le Jour des Morts avec des calaveras de notre création, sur des sujets d’actualité et l’exposition était accompagnée d’une offrande aux morts à la manière mexicaine.

Depuis, d’autres artistes habitant à Paris se sont joints à nous dans notre jeu de massacre. En 2003, nous avons exposé les œuvres de l’artiste mexicain nahua, Nicolás de Jesús. En 2004, notre exposition à été vue au centre d’arts plastiques, la Ferme du Couvent, à Torcy. En 2006, nous avons cherché d’autres renforts à l’étranger, cette fois dans la communauté mexicaine de Chicago, en la personne de René Hugo Arcéo.

Notre tâche est énorme, nos moyens sont limités, mais la mort fait son chemin et elle n’a pas encore cessé de nous faire rire.

Raúl Velasco, Paris 2006